
Aujourd’hui, c’est une nouvelle montagne à gravir. Une annonce. D’une petite vie qui s’est nichée sous le coeur d’une amie.
Une onde de choc.
Tout d’abord, le bonheur que l’on ressent pour eux, la réminiscence de mes propres sensations. Se replonger dans les jours de l’an dernier qui paraissent si proches, ce mélange de joie, d’excitation et de peur profondes à la vue du test de grossesse positif. Sensations décuplées après la premiere échographie. Se rendre au bureau après le rendez-vous avec l’impression d’être détentrice d’un grand secret, et que sa vie est en train de changer.
Puis le choc. La vague me prend. Une autre vie. Un petit bébé qui va naître alors que Victor n’est plus. Ces mois qui vont défiler comme le miroir, vue inverse des mois de l’an dernier. Je me projète, mon esprit fait des bons dans le temps, tisse des liens avec un futur possible, la naissance, la visite à l’enfant…
La douleur déferle. Alors ce petit bout, il sera là, avec ses parents, et ses parents, ils pourront le prendre dans leurs bras, tout chaud, l’élever, le bercer, le voir grandir, alors que nous… nous… moi…
La vague me prend tout le corps, me défait de toutes mes forces. Je lutte avec tout ce que j’ai, les arguments raisonnés répétés inlassablement :
# Autant que nos futurs enfants, ce petit ne remplacera pas Victor, ce petit n’est PAS Victor, nous ne pouvons pas nous identifier à cette nouvelle famille.
# Le bonheur dans le monde n’est pas limité, ce n’est pas parce que ce bébé viendra que nous ne connaîtrons pas nous aussi ce grand bonheur d’un petit enfant vivant.
# La grossesse, ses 9 mois excitants et parfois pétrifiants, je l’ai connue aussi, je l’ai pleinement vécue, pourquoi refuser ce droit à mon amie…
# Il me faut vivre au jour le jour, heure par heure, ne pas se projeter aussi loin, rester sur le moment présent, im Hier und Jetzt (“dans l’ici et le maintenant”).
# Si j’ai réussi à survivre à la disparition de Victor, alors cette nouvelle ne pourra pas m’empêcher de continuer. Elle est un simple épiphénomène.
Le quotidien reprend, la vague se replie, je prépare à manger, je prends ma douche, je m’habille. J’oublie en surface. Et soudain, un petit geste, un objet, un lieu me rappelle alors la situation. Comme un bouton poussoir. La vague revient, elle me reprend, m’emporte dans ces images du bonheur voisin dont je me sens tellement privée.
C’est une nouvelle montagne à gravir. Une nouvelle vague à surmonter. Comme toutes les autres, on va la surmonter. Essayer de surfer dessus. J’ai vu qu’avec le temps, certaines douleurs immenses liées à Victor s’estompent un peu. La première fois que je me suis revue enceinte en photo. La première fois que j’ai vu Victor en photo. La première fois que je suis retournée à un endroit étroitement lié à nos souvenirs ensemble. Des coups dans le coeur qui sont devenus plus doux, plus tendres, puis familiers.
Il paraît que ce genre d’annonce est l’une des plus rudes dans la vie d’après.
Elles se répèteront. Mais nous y arriverons.