
Perdre un enfant, son enfant unique jusqu’à présent, cela ouvre un univers des impossibles.
Où tous les contraires se mèlent, comme des aimants. Des contraires. Des mondes et des sentiments inversés. Des oxymores. Des mécaniques de l’absurde, de l’illogique, de la déraison.
Donner la vie et rencontrer l’absence.
Devenir mère sans se sentir ainsi au contact des autres.
Avoir un enfant et ne pouvoir le montrer qu’en photo.
Être maman d’un bébé qui ne réclame pas le sein.
Serrer dans les bras des inconnu(e)s et se détacher des personnes les plus proches. Se confier à des personnes qu’on vient de rencontrer et ne rien en dire à ses ami(e)s.
Lire des livres sur le deuil et ne pas les finir pour rechercher la trace de lumière, lire des livres joyeux et les poser pour chercher la trace de tristesse.
Vouloir entendre les histoires de ces “bébés espoir” et se tourner vers les mamans qui n’en ont pas encore.
Jalouser le soi qu’on était quelques mois auparavant et ne pas connaître celle qu’on est aujourd’hui.
Se sentir le plus faible et le plus détruit possible, littéralement à terre et en pleurs, et en même temps se sentir prête à combattre tous les obstacles, briser tous les tabous, faire tomber toutes les barrières de sociabilité, et faire tout pour retrouver l’espoir.
⋒
J’essaie de me rappeler comment j’étais “avant”, et j’ai l’impression aussi d’être devenue le contraire de ce que j’étais (ou l’inverse, tiens, je ne sais plus). Que ce monde que je m’étais fait, détruit, recommence à pousser, mais dans l’autre sens, comme les racines d’une orchidée.
L’amitié, par exemple, était une chose très importante pour moi, ou du moins l’entourage, le fait d’avoir des potes, d’avoir toujours quelqu’un à voir, des plans sympas de week-end, d’entendre parler de la vie des autres, faire se rencontrer ses amis dispersés un peu partout entre la France et l’Allemagne. Comme dirait mon frère aussi, je suis quelqu’un d'”agreeable”. Un “people pleaser”, pardonnez-moi l’expression. En bonne ennemie du conflit, j’ai toujours recherché la bonne entente et surtout toujours voulu plaire. Aujourd’hui, je ne peux que me centrer sur moi-même. Un réflexe de survie. Être “aimée” des autres n’est plus du tout ma priorité. Je sais que mes amis sont là quelque part, et que dans un sens ils le resteront. En attendant, je me replis, je me protège, je mets des limites… et je ne m’attache qu’à ceux et celles qui nous font du bien…
La mémoire elle aussi. Je me suis parfois moi-même surprise par ma mémoire, des gens et des situations (pas des théorèmes de maths, par contre). Aujourd’hui, je fais tout pour oublier certaines choses, pour effacer des situations qui me sont trop douloureuses au risque, je sais, d’effacer les personnes avec.
Le travail. Je vais écrire malheureusement une phrase du style “mon travail était ma priorité”. Voilà. Elle sonne très creux mais je ne saurais pas l’exprimer autrement. Partir, pour un nouveau travail, dans une nouvelle ville, pour une nouvelle vie, ça ne m’a jamais fait peur. Cinq villes, trois pays, en dix ans. Et j’aurais donné beaucoup pour ma “carrière” (que ce mot sonne faux aussi, pourquoi est-il devenu si négatif… peut-être parce que le terme de “femme carriériste” sonne tellement négatif aussi ?). Aujourd’hui, je ne sais absolument pas où j’en suis, je n’ai d’ailleurs plus de travail, la start-up pour laquelle je travaillais ayant fait faillite lors de mon congé maternité. Sortez les violons… Mais ce n’est pas pour me déplaire. Par contre, chercher un nouveau travail, aller en entretien, s’asseoir à un bureau, se présenter, raconter une part de soi, être à une table avec de potentiels “générateurs de douleurs”… autant de situations qui me paraissent aujoud’hui totalement hors de portée.
Alors, que reste-t-il de cet avant ? Beaucoup, beaucoup de choses. Certaines ne sont pas devenues contraires mais plutôt complémentaires, plus fortes, encore plus puissantes qu’avant.
Notre relation amoureuse et “parentale” désormais. Nos familles. Ma perception de la vie. La relation avec ce qui est “invisible pour les yeux” (et que je suis loin d’avoir compris).
L’espoir de continuer.
La poursuite du bonheur.