
J’aurais aimé qu’on me donne une liste de choses à faire absolument, les suivre religieusement comme des devoirs à faire à la maison. Je percevais le personnel hospitalier comme des sur-hommes et des sur-femmes qui n’aideraient pas seulement mon corps à revivre, mais aussi mon esprit. Je cherchais à connaître le top 5 des choses à suivre pour bien vivre cette horreur. “Les 5 astuces pour mieux vivre après la perte de son enfant”. Pas sûr que Topito ne publie ce genre d’articles…
Après trois petits mois, je peux dire que logiquement, ce top 5 n’existe pas mais que j’ai commencé à développer une “mécanique” qui m’aide à mieux passer dans les trous d’air du desespoir. J’aimerais les partager ici, c’est très personnel mais peut-être que cela peut permettre de réveiller chez chacun de nous des petites ressources inconnues…
Le café

Le café a toujours été ma grande passion depuis que j’ai dépassé le stade du rejet où mon palais m’a crié “aaahh mais c’est trop acre !” vers mes 16 ans. Je suis passée du café filtre à la Bodum, du cappuccino nauséement mousseux des comptoirs français au capuccino crémeux et délicieux des nouveaux cafetiers à Vienne et à Hambourg (Période Third Wave Coffee, et découverte du Flat White, mais là ça va un peu loin). Mon premier réflexe quand j’arrive dans une nouvelle ville c’est de cibler les bons coffee shops.
Quelques semaines après la tempête, ma “French Press” Bodum, remplie au 3/4 et jamais venue à bout est ma meilleure amie du matin. Plus que le goût du café, c’est son cérémoniel qui m’apaise.
On fait bouillir l’eau. On ouvre la boîte de café moulu, les arômes se libèrent, ce mélange de bois fraichement coupé, et de… café (hum). On en prends quelques cuillères pour la mettre dans la Bodum, puis on verse l’eau dessus, on mélange, etc.
Voir ma Bodum trôner gentiment sur la table, toute guillerette à l’idée de partager mon petit-déjeuner, c’est un petit baume pour mon coeur. Le café n’est pas exceptionnel, c’est clair qu’il ne vaut pas mes visites dans le coffee shop du coin où j’allais deux fois par semaines lors de ma grossesse (libérez le passage, moi et mon ventre on arriiiiive). Mais c’est ma petite consolation, mon petit bonbon du matin, le souffle chaud de la Colombie (? je vous avoue, j’en ai aucune idée) qui se glisse doucement dans ma gorge nouée.
Le Yoga

On pourrait en écrire des tonnes sur ça, alors je vais rester basique. 15 minutes de Yoga par jour, en semaine. Petit tapis dans le salon. Les deux morceaux de Krishna Das, toujours les mêmes, pour m’accompagner. Inspirer, expirer, Chien-tête-en-bas, Peaceful Warrior, Shavasana, et voilà.
Il y aurait tellement à dire sur le yoga et je suis loin d’être une spécialiste, alors je reste sur le fait que ça a un côté hypnotique, d’écouter toujours les mêmes chansons/mantra et de faire les mêmes mouvements… La respiration, les pensées qui affluent puis s’en vont, toutes génées de m’avoir surprise en pleine activité… Honteuses, sur la pointe de pied, elle repartent…
C’est souvent pendant ces 15 minutes de yoga que me viennent des belles idées, des petits bouts de lumière, et beaucoup de calme.
La lecture

Les livres sont pour moi toutes les vies que je pourrais vivre. J’ai été une femme qui s’ennuit à en mourir en Normandie, le soldat russe de la Guerre d’Austerlitz, le noble fier dans la campagne anglaise, le journaliste exilé à Spetsai, la jeune femme qui cherche les traces de ses ancêtres en Algérie…
Depuis l’accident, j’ai avalé les livres sur le deuil, périnatal ou non, et s’il fallait n’en retenir que deux, je citerais A Vif de Ioulia Condroyer, et Option B de Sheryl Sandberg. Se sentir moins seule, pouvoir mettre des mots sur ses sentiments, trouver une confirmation à ses doutes, trouver des lueurs d’espoir… et donner du sens au temps.
Voir la pile de livres sur ma table de nuit me réconforte, je suis accompagnée, tous ces héros ordinaires sont là avec moi. Que peut-il m’arriver que quelqu’un d’autre n’aura jamais connu ?
Les retours d’expérience
Ici, j’aimerais bien citer Instagram. Ce réseau social me paraît toujours aussi égo-centré, et parfois carrément ridicule, mais il est ma bouée de survie dans bien des situations. Une communauté de personnes qui ont vécu la même chose que moi, voilà ce que je cherchais au bout de quelques semaines, et c’est exactement là que je l’ai trouvée. Certes, on ne vit pas cette “expérience” toutes de la même façon, mais voir la vie d’autres “compatriotes de la douleur” est d’une grande aide. Et on fait de très belles rencontres par la même occasion…
Voici quelques visuels ‘insta’ qui m’ont aidé à un certain moment, les lire simplement sur mon fil d’actualité m’a fait beaucoup de bien.







Vivre heure par heure
Une amie me l’avait écrit dans les premiers jours après l’accident. Il faut parfois vivre un jour après l’autre, voire heure après heure. C’est immensément, complètement, totalement, carrément, intrinsèquement vrai.
Prendre tous les moments tels qu’ils sont. Respirer, souffler, laisser passer la vague. Ne pas voir plus loin que l’heure d’après. Et continuer.
S’offrir à chaque moment un instant de bien-être. Ne pas vouloir en faire trop. Ne pas se pousser, comme on avait l’habitude de le faire dans des situations “difficiles” dans la vie d’avant. “Mais oui, il faut ABSOLUMENT que j’appelle la sécurité sociale, c’est ultra important aujourd’hui !” Non. Si ça fait mal, ça fait mal. Alors ne le fait pas. Cherche de l’aide. Demande à ton amoureux de le faire pour toi.
Ne pas se laisser surprendre par son histoire. Devoir raconter au téléphone ce qu’il s’est passé parce qu’ils posent une question ? Non. Se préparer pour le faire, pour ne pas se mettre dans la position passive. Pouvoir aller au devant des questions. Difficile, mais nécessaire.
S’autoriser une pause. Des pauses. Toutes les pauses du monde.
On y arrivera. Au jour le jour. Pour nos enfants, pour notre entourage, pour la vie, et pour l’amour.